La France n’entend plus ses professeurs. Ce n’est pas une formule, c’est une donnée. Selon la dernière enquête internationale TALIS 2024 de l’OCDE*, seuls 4 % des enseignants estiment que leur métier est valorisé par la société ; autant pensent que leur avis compte pour les décideurs politiques. Le pays des Lumières semble devenu sourd quand il s’agit d’écouter ceux qui les transmettent. Et pourtant, si la parole des professeurs portait vraiment, la Nation tout entière y verrait plus clair sur l’état de son École.
Depuis des années, l’Éducation nationale est devenue un spectacle de commentaires permanents. Tout le monde parle des professeurs, rarement avec eux ; on les accuse de tout, on les excuse de rien. Trop de vacances, trop d’heures libres, trop sévères, trop laxistes : les procès changent, le verdict reste le même. Et dans ce vacarme, le message essentiel se perd : ce n’est pas le professeur qui faillit, c’est le système qui l’épuise.
Les chiffres de l’OCDE enfoncent le clou. En France, 27 % seulement des enseignants se disent satisfaits de leur rémunération, soit douze points en dessous de la moyenne des pays comparables. Près d’un sur cinq consacre 18 % de son temps à maintenir l’ordre dans sa classe, et les réformes successives n’ont rien arrangé. Depuis 2018, la proportion d’enseignants travaillant dans des écoles où plus de 10 % des élèves ont des besoins éducatifs particuliers a bondi de 42 % à 74 %, soit + 32 points. L’inclusion progresse sur le papier, la formation, elle, reste à la marge. On demande davantage d’adaptation, davantage d’énergie, davantage d’heures ; mais la reconnaissance, elle, continue de reculer.
Et pendant que les enseignants tiennent encore l’École debout, le ministère, lui, change de visage et d’orientation à chaque saison. La valse ministérielle est devenue un art national : chaque arrivée s’accompagne de sa “grande réforme” aussitôt remplacée par la suivante. Notre dernière ministre en date n’a même pas jugé utile de rencontrer l’ensemble des organisations représentatives après sa prise de poste ; et lorsqu’elle l’a fait, bien plus tard, ce n’était manifestement pas par priorité. Comme l’a rappelé le président du SNALC, “elle semble découvrir comment fonctionne le ministère plus de six mois après son arrivée”. Quand ceux qui dirigent l’École n’écoutent plus ceux qui la font vivre, il ne faut pas s’étonner que la République perde la voix.
Le malaise n’a plus rien d’une impression : il est mesuré, comparé, archivé. 79 % des enseignants déclarent aimer leur métier, mais cet attachement n’a plus rien d’un signe de bien-être ; c’est celui qu’on éprouve pour ce qu’on sauve malgré tout. Derrière cette fidélité, l’épuisement gagne du terrain : conditions de travail dégradées, surcharge chronique, perte de sens. L’Éducation nationale fait encore salle comble… mais ce sont les congrès du SNALC, consacrés à la souffrance au travail ou à quitter l’Éducation nationale, qui affichent complet. Ce n’est pas de la politique : c’est un constat lucide, chiffré, partagé jusque dans les statistiques internationales.
Pourtant, ce métier demeure beau, essentiel, vital. Chaque jour, des professeurs, des AESH, des CPE, des personnels administratifs continuent de tenir debout un système que d’autres gouvernent à distance. Mais aucune vocation, si sincère soit-elle, ne peut indéfiniment compenser le mépris, la stagnation salariale et la solitude institutionnelle. On ne bâtit pas une École forte sur la culpabilité de ceux qui l’incarnent.
Puisque la France n’entend plus ses professeurs, le SNALC continuera de parler pour eux. Nous rappellerons que la première urgence n’est ni l’intelligence artificielle, ni les assises sans lendemain, mais bien les salaires et les conditions de travail. Nous continuerons d’être cette voix ferme, calme et claire qui rappelle aux gouvernants qu’un enseignant respecté, c’est un élève mieux instruit. Et dans un pays qui ne sait plus écouter, il restera toujours une voix qui ne faiblira pas : la vôtre, portée par le SNALC.