Ă€ partir de mi-aoĂ»t, les nuits des professeurs sont hantĂ©es par des cauchemars rĂ©currents. Les grands classiques du genre relèvent parfois du registre fantastique : arriver en classe dans son pyjama en pilou, ne pas parvenir Ă articuler un son, devoir enseigner l’EPS alors qu’on est en lettres classiques (ça marche aussi dans l’autre sens) ou rester impuissant face Ă un vidĂ©oprojecteur diffusant des contenus indĂ©sirables au moment oĂ¹ l’inspecteur fait coucou Ă l’entrĂ©e de la classe.
En gĂ©nĂ©ral cependant, la rentrĂ©e rĂ©elle s’avère moins cauchemardesque. La plupart du temps, on finit en effet par obtenir les clefs des classes (après trois allers et retours Ă l’intendance), les Ă©lèves existent (sauf peut-Ăªtre pour les langues dĂ©sormais rares comme l’allemand et les lettres classiques), la photocopieuse fonctionne une fois sur deux et la formation obligatoire n’a lieu qu’à 100 km.
Mais cette annĂ©e, nos cauchemars se sont bel et bien matĂ©rialisĂ©s dans la vie rĂ©elle. Dans une interview accordĂ©e Ă Brut le 26 aoĂ»t, la ministre Élisabeth Borne a en effet annoncĂ© que chaque professeur serait bientĂ´t dotĂ© « d’une IA pour prĂ©parer ses cours ». Elle serait conçue sur la base d’un cahier des charges gouvernemental et financĂ©e Ă hauteur de 20 millions d’euros. On frĂ©mit dĂ©jĂ Ă la perspective de la diffusion du chatbot estampillĂ© Éducation nationale… Au-delĂ des apprĂ©hensions lĂ©gitimes sur son design et son efficacitĂ©, il risque bien de devenir pour l’institution le portrait-robot idĂ©al du professeur. L’IA, c’est magique : aucun risque qu’elle rĂ©clame un salaire dĂ©cent, rĂ¢le dans la salle des profs ou pire, se mette en grève ! VoilĂ qui mĂ©rite bien un investissement financier qu’on refuse aux personnels…
Et pourquoi d’ailleurs s’arrĂªterait-on Ă une assistance pĂ©dagogique ? On attend l’IA coach de vie qui nous susurrerait d’une voix mĂ©tallique : « Tu as 40 Ă©lèves en 2de ? VoilĂ un beau dĂ©fi Ă relever, je compte sur toi ! » ou compatissante et cĂ¢line : « tu n’as pas rempli tes bulletins, mais tu as arrosĂ© tes plantes, bravo Ă toi ! »
Le SNALC le rappelle : les professeurs n’ont pas besoin de gadgets pour effectuer moins bien les missions qu’ils assurent avec professionnalisme et humanitĂ©. Il serait en revanche grand temps de se pencher sur leurs rĂ©munĂ©rations et leurs conditions de travail. S’ils avaient un rĂªve, ce serait celui-là …




